Cocottes en papier
Les projets du gouvernement pour la fonction publique suscitent une nouvelle fois un débat biaisé, accompagné de clichés sonores ; il n’y manque que les manches de lustrine et les cocottes en papier. Présupposés à peine dissimulés : il y a trop de fonctionnaires, ils ne travaillent pas assez et ils coûtent trop cher. Conséquence : il faut en réduire le nombre, diminuer la dépense publique, accroître le nombre des contractuels non-soumis au statut, augmenter la part de la rémunération au mérite.
L’ennui, c’est que la réalité dit tout autre chose. Trop de fonctionnaires ? Il y en a beaucoup, plus de cinq millions, soit environ un salarié sur cinq. Trop ? Cela se discute. La comparaison européenne nous apprend qu’il y a en a plus, en proportion, dans les pays scandinaves, dont l’efficacité économique n’est pourtant plus à démontrer. Les pays les moins administrés ne sont pas forcément les plus compétitifs.
Les effectifs se répartissent entre l’Etat, les collectivités locales et la fonction publique hospitalière. La fonction publique nationale comprend en grande majorité des enseignants, des policiers et des militaires. Trop de profs ? Trop de flics ? Trop de soldats ? Dans le débat public, on entend le contraire. Même chose pour l’hôpital. Trop de médecins, trop d’infirmières, trop de soignants dans les Ehpad ? Qui peut le dire ?
Tous ces gens, dit-on, sont inefficaces. Est-ce si sûr ? Les Etats-Unis ont moins de fonctionnaires en proportion, par exemple dans la santé ou dans l’éducation. Selon le raisonnement dominant, ils devraient obtenir de meilleurs résultats dans ces domaines. C’est le contraire qui est vrai : l’espérance de vie est meilleure en France et le pays se tient très bien dans les classements internationaux qui mesurent la santé de la population, mieux que les Etats-Unis, en tout cas. Même chose en matière scolaire, où, d’après le classement Pisa, les Etats-Unis sont derrière la France. Autrement dit, dans ces domaines, le privé ne fait pas mieux que le public.
Cela ne dispense pas de rechercher toujours un meilleur service public, c’est-à-dire un meilleur service du public, qui finance tout cela et peut légitimement exiger des efforts d’économie et de productivité. Mais pour le reste, la volonté de réduire la part collective de la dépense relève non d’une démonstration chiffrée et logique, mais d’un simple dogme. Celui qui, manifestement, domine la politique du gouvernement.